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Un point de vue sur l'école maternelle... (Maurice BOUCHARD)


Que va devenir l’école maternelle ?

La réforme de l’école maternelle, annoncée par le ministre de l’Education nationale lors de la tenue « d’assises de l’école maternelle » fin mars 2018, semble plus liée à une volonté de réponse aux demandes des classes moyennes qu’à une véritable exigence culturelle démocratique.

Le développement du travail féminin a favorisé l’investissement par toutes les catégories sociales - et tout naturellement en majorité par des catégories sociales plus favorisées - d’une école maternelle qui, selon les vœux de Pauline Kergomard, sa fondatrice, avait pour mission d’accueillir les plus démunis[1].

Il est vrai que l’enfance a maintenant changé de statut. Pour un couple de classe moyenne, avoir un enfant semble devoir répondre à une exigence sociétale, ce qui, en conséquence, conforte le statut de « l’enfant roi », souvent devenu quasiment maître de la famille dans une société qui fait du caprice et de l’émotionnel le modèle des conduites.

Aussi, se développe maintenant un mode de socialisation personnalisée du jeune enfant, affectionné par les classes moyennes, faisant appel à des pratiques éducatives très en vogue actuellement, centrées essentiellement sur l’épanouissement de l’enfant.

Dans ces conditions, l’école maternelle, définie comme l’école de l’épanouissement, peut contribuer à conforter un individualisme déjà bien installé et on peut craindre que ne s’imposent plus les valeurs et les normes nécessaires à une saine socialisation des enfants.

Avec cette école maternelle (ou à ce qui pourrait être appelé à lui succéder dans le cadre d’une prise en charge institutionnelle de la petite enfance de 3 mois à 6 ans), les familles peuvent voir se réduire la reconnaissance de leur compétence éducative et éprouver pour certaines (classes moyennes) un sentiment confusément culpabilisant de démission, et pour d’autres (classes populaires) être obligées de se conformer à des injonctions éducatives pressantes, les unes et les autres devant s’en remettre à de multiples spécialistes de la prévention et du soin dans la petite enfance, au risque de dramatiser inutilement les processus naturels du développement des enfants.

S’il est certain que « l'attachement » est primordial pour l'évolution psychologique de l'enfant, on peut supposer que tout enfant trouve dans son entourage proche, et depuis sa naissance, au moins une personne (sa mère en général) qui prend soin de lui « de façon cohérente et continue », et cela dans tous les milieux (sauf pathologies sociales graves).

Vouloir une école maternelle favorisant l’attachement des enfants « pas forcément à celui qui a le plus de diplômes, mais à celui qui établit les meilleures interactions avec lui[2] » laisse entendre que les professeurs des écoles ne sont pas capables d’établir ces interactions et que d’autres professionnels, d’un niveau de qualification différent, seraient plus compétents.

C’est aussi dénier à ce segment du système scolaire sa responsabilité en matière d’instruction[3] alors que le président de la République lui-même a annoncé avoir « décidé de rendre obligatoire l'école maternelle et d'abaisser de 6 à 3 ans en France l'obligation d'instruction dès la rentrée 2019[4] », ajoutant : « Dans notre mythologie républicaine, l’école maternelle n’occupe pas toute la place qu’elle pourrait occuper. Elle est et sera davantage à l’avenir un moment fondamental de notre parcours scolaire » ; ce qui, à moins de se tromper sur le sens des mots, est une heureuse reconnaissance de son caractère scolaire au plus haut niveau de l’exécutif, dont on espère qu’elle ne sera pas contredite en deçà.

Par ailleurs, s’il est affirmé que l’école maternelle rénovée sera l’école du langage (en la gardant toutefois de vouloir assurer les savoirs « académiques » - dont il serait quand même intéressant de préciser la nature), elle ne peut se contenter, dans ce domaine, de conter des histoires aux enfants (ce qu’elle fait depuis toujours d’ailleurs) en supposant que l’écoute (à condition qu’elle soit attentive) puisse suffire.

On ne peut ignorer en effet qu’il est aussi important de se familiariser avec le langage de l’écrit qu’avec le langage oral, et par conséquent de mettre en œuvre, et au plus tôt, une véritable « éducation à la lecture » pour le meilleur profit de tous les enfants, aussi bien ceux des classes moyennes dont une partie des parents ont de moins en moins le temps d’agir efficacement en la matière, que ceux des classes populaires qui n’en ont peut-être pas tous les moyens. En réalité, les enfants ont surtout besoin d’acquérir progressivement et au plus tôt la maîtrise du langage, de sa fonction et de son fonctionnement, à l’oral et à l’écrit, par des méthodes sécurisantes (comme elles l’ont toujours été à l’école maternelle) et évidemment adaptées à leur âge et à leurs possibilités.

La satisfaction exprimée par une large majorité de la population envers les premières propositions du ministre (d’autant qu’elles sont enveloppées de l’aura de la science et plus particulièrement des neurosciences), ne peut dissimuler l’inquiétude que l’on peut concevoir dans la perspective d’une école maternelle comprise comme une institution à qui certains voudraient dénier le caractère scolaire (ce qui permettrait d’y employer des personnels moins qualifiés que les professeurs des écoles), risquant de devenir un « service » quelconque du secteur tertiaire, dont l’Etat pourrait vouloir se dégager des contraintes, soit en faisant appel aux collectivités territoriales de proximité, soit en en confiant la charge à des institutions privées, subventionnées, prônant les pratiques éducatives à la mode recevant l’adhésion des classes moyennes.

Celles et ceux qui ont eu la curiosité de se pencher sur l’histoire de l’école maternelle pourraient voir poindre une forme moderne des « salles d’asile[5] » que l’on qualifierait aujourd’hui « de luxe » (dont le but serait-il d’éduquer les enfants ou de libérer les femmes de la contrainte de garder ces derniers ?), ou encore une sorte d’institution « maternaliste », si l’on veut bien excuser ce néologisme issu de l’adjectif « paternaliste » et dont il veut conserver tout le sens.

Il faut admettre cependant que ce qui a été longtemps le fleuron du système éducatif français a besoin de réforme car depuis les Trente Glorieuses, avec la forte demande de scolarisation liée au désir de promotion sociale, avec la montée des effectifs et l’entrée d’enseignantes appartenant également aux classes moyennes, l’enseignement en maternelle, en apparence d’exercice plus facile que dans d’autres niveaux, n’a pas été l’objet de l’effort de réflexion nécessaire pour tenter de résoudre le dilemme entre la nécessité d’instruire et la volonté d’éduquer.

Mais, sous prétexte de réforme, faut-il remplacer l’action éducative par l’action médico-sociale et abandonner l’effort d’instruction ? Faut-il laisser la sélection opérée par la répartition territoriale des classes sociales apporter tout naturellement une solution à ces questions, quelle que soit la forme de l’institution qui en aurait la charge ?

Maurice Bouchard

[1] Pour Pauline Kergomard (1838-1925), l’école maternelle est une structure préscolaire qui éduque mais n’instruit pas, qui est un substitut de la famille car elle est destinée à accueillir les enfants des mères qui travaillent, et dont on doit « user avec mesure » et la proscrire dans tout endroit où, « n’étant pas utile, elle ne sert qu’à encourager la paresse des mères » !

[2] Déclaration à la presse de Boris Cyrulnik, neuro-psychiatre chargé de l’organisation des assises de l’école maternelle.

[3] Instruction : action de former l’esprit, la personnalité de quelqu’un par une somme de connaissances liées à l’expérience, afin de développer ses compétences.

[4] Déclaration d’Emmanuel Macron, ouvrant les assises de l’école maternelle organisées les 27 et 28 mars 2018 par le ministère de l’Education nationale.

[5] La mission première des « salles d’asile » était d’accueillir et d’assister les enfants de milieux populaires, de plus en plus nombreux dans les villes en raison des mutations sociales dues à la révolution industrielle. Elles furent légalisées par l'ordonnance du 22 décembre 1837. Les écoles maternelles, à la suite des salles d’asile, le furent par la loi de 1881.


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