On pouvait craindre le pire devant l’urgence avec laquelle il fallait répondre au « scandale APB » largement médiatisé cet été. Les amalgames étaient rapides, ce n’était d’ailleurs pas la plateforme numérique Admission-Post-Bac qui faisait problème mais l’engorgement non anticipé de certaines filières universitaires, le recours au tirage au sort pour l’affectation des candidats et les centaines de bacheliers restant sans accès à l’enseignement supérieur. Le double constat d’injustice et d’hypocrisie était largement reconnu devant une sélection qui ne disait pas son nom, sélection la plus arbitraire par le tirage au sort et sélection la plus cruelle par l’échec en première année universitaire. On pouvait donc craindre l’instauration d’une sélection « décomplexée » abolissant l’idée de démocratisation d’un enseignement supérieur confronté à la massification.
Le rapport Filâtre présenté le 19 octobre synthétisant le travail des groupes de concertation puis l’exposé du « plan étudiants » le 30 octobre par le Premier ministre et les deux ministres chargés de l’enseignement scolaire et supérieur ont apporté des éléments rassurants, des décisions concrètes qui, reconnaissons-le, vont dans le bon sens. Des interrogations demeurent et une vigilance sera nécessaire mais ne faut-il pas s’emparer localement de notre marge de manœuvre et de notre responsabilité ? N’est-ce pas navrant pour toutes nos professions d’entendre lors de la conférence de presse des ministres la question « Comment les deux professeurs principaux vont-ils s’articuler et travailler en binôme ? ». Est-ce à Matignon et à la rue de Grenelle de répondre ? Et les « usines à gaz » dressées comme des épouvantails par certains, n’est-ce pas aux équipes locales d’inventer les bonnes pratiques qui répondront aux besoins d’une orientation éclairée ? École de la confiance, de l’autonomie et de la responsabilité !...

La question des prérequis avait fait l’objet d’un atelier de réflexion et de propositions lors des journées d’automne d’Education & Devenir. Dans le plan présenté par le gouvernement, le terme a disparu, au profit « d’attendus », ce n’est pas un mal, les termes ont leur importance. Les prérequis évoquaient des conditions assez fermées, quasi rédhibitoires et essentiellement disciplinaires, qui pouvaient conduire à un détournement pervers réduisant l’élève à sa filière d’origine et aux programmes dispensés, à ses scores chiffrés dans telle ou telle discipline. Machine à trier, décourager et démolir… Les attendus déplacent l’arbitrage et invitent à une réponse éclairée, celle du choix libre et de l’auto détermination. Mais comment aider les lycéens à construire leur choix et à exercer leur libre arbitre ? Face aux attendus, il nous faut construire des démarches aidantes permettant à chaque jeune de construire son parcours, parcours qui peut comporter des phases de césure, de fourvoiement voire d’errements pour peu que ces épisodes ne soient pas l’objet de jugement négatif. Nous voyons tous les ans des jeunes « tenter » l’université et choisir finalement une autre voie, est-ce toujours un échec ? L’expérience de la vie étudiante et de l’autonomie, la rencontre d’autres étudiants, d’autres enseignants et d’autres modalités d’apprentissage sont autant d’éléments qui jalonnent et construisent un parcours.
Les attendus que les différentes filières universitaires auront à formuler (trop rapidement sans doute pour cette année scolaire) doivent informer les lycéens et les équipes qui les accompagnent sur les connaissances et aptitudes pour réussir dans la voie choisie : un socle de savoirs et de compétences, disciplinaires et transversales mais aussi des éléments de motivation et de capacité à s’engager dans le travail nécessaire. Tous ces éléments doivent dessiner non pas les « acquis » pour réussir mais le « potentiel » pour réussir, de manière à n’enfermer aucun jeune dans un passé ou une origine discriminante mais à l’ouvrir vers des possibles à construire. Accompagner le jeune dans ses choix nous impose de l’aider dans la connaissance de soi, dans une évaluation et une valorisation de ses diverses compétences afin de pouvoir interroger son projet personnel. C’est pourquoi, à la logique des attendus énoncés par l’université, nous proposons que soit être associée celle du bilan de compétences pour chaque jeune qui s’interroge. C’est sans doute une nouvelle culture à développer dans les lycées, avec les CIO, avec les psychologues de l’éducation nationales et bien sûr avec les professeurs principaux. Certains bassins se sont déjà inscrits dans cette logique en proposant des formations spécifiques aux enseignants et CPE.
Le plan étudiants ne pourra pas rester un élément isolé des politiques éducatives : les réformes du bac, du lycée et du premier cycle universitaire devront s’articuler pour construire une réelle cohérence dans les parcours « bac-3, bac+3 ». Les attendus interrogent les pratiques, tant en amont qu’en aval du baccalauréat. Comment le lycée prépare-t-il les étudiants aux attendus transversaux (méthodes de travail et de recherche, travail en équipe et interactions, engagement personnel et collectif, pratiques orales, écrites, numériques…) ? Comment le lycée évalue-t-il ces compétences et comment en rend-il compte ? Comment l’université va-t-elle réellement proposer les remédiations nécessaires quand les attendus ne sont pas tous comblés ? Comment le lycée et l’université vont-ils réfléchir ensemble sur l’articulation de leurs enseignements, sur leurs attentes respectives ?
Face à ces interrogations, notre boussole demeure fixée par notre charte, affirmant nos valeurs et notre engagement. Prenant appui sur ce qui se fait déjà dans nombre de lycées et d’universités, nous affirmons que les avancées sont possibles, que les initiatives locales lorsqu’elles sont le fruit de concertations et de négociations, sont le ferment d’un système plus performant et plus juste.
Membres d’Education & Devenir, nous nous attachons à travailler à l'évolution permanente du système éducatif pour lui permettre de répondre à des besoins constamment renouvelés.
Nous affirmons que l'École doit être une école de la réussite pour tous. La démocratie implique que l’École réduise les inégalités et, par la lutte contre l’échec scolaire, contribue à renforcer la cohésion sociale. C'est la diversification des stratégies pédagogiques dans une structure scolaire non ségrégative qui permet d'atteindre cet objectif.
Tous les personnels, quels que soient leurs fonctions et leurs statuts, sont partie prenante de la quadruple mission de l’École : éducation, instruction, socialisation, préparation à la vie professionnelle. Il importe donc qu’ils soient formés en conséquence.
C’est par la réflexion collective, au plus près de la réalité de chaque établissement, que le sens des contenus d’enseignement et les méthodes d’apprentissage peuvent être explicités et trouver leur pertinence, que les compétences des élèves peuvent être solidement construites et évaluées, que les accompagnements nécessaires peuvent être élaborés et personnalisés.
C’est par une mise en réseau, par la mutualisation et les projets qui en découlent, que les écoles, les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur peuvent construire une réelle continuité pédagogique de la maternelle à l’université, permettant tous les parcours de réussite.
(in E&D : La charte - 2016)