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Loto..nomie ?


Synthèse de nos réflexions à l'issue des journées des adhérents Education & Devenir à Villeneuve-lez-Avignon, Octobre 2017

Autonomie des établissements, autonomie des équipes, autonomie pédagogique, autonomie…, concept magique apposé depuis quelques dizaines d’années aux frontons des revues et des colloques éducatifs opposés à une multiséculaire administration centralisée. Trois fois ce son « O » comme une douce interpellation consensuelle d’apparence non-idéologique - aux contours aussi incertains que la tolérance - et qui pour cette raison, comme tout ce qui ressemble à une langue de bois, doit avoir une fonction inavouée de pérennisation du système. Car autonomie de qui, de quoi et surtout pour quoi, comme les multiples cases d’un jeu de loto dont il faudrait au moins interroger les interdépendances et la cohérence.

Depuis 50 ans, « un monde commun décidé nulle part »

En 1997…, dans la revue « Éducation & Management » (1), le Centre Paul Lapie (2) écrivait : « Depuis plus de vingt ans, les établissements scolaires français sont en quête d’autonomie sous l’effet des lois de 1975 (système éducatif), de 1983 (décentralisation territoriale) et de 1989 (éducation).» Il s’interrogeait sur les rapports entre le local et le national, sur le meilleur niveau de réponses, sur l’investissement des collectivités, sur les évaluations multiples, sur l’organisation en réseau, et se demandait « qu’est-ce qu’un établissement ? », « quelle est la bonne unité de base ? ». Et concluait : « (..) l’Éducation nationale serait en train d’évoluer d’une pyramide hiérarchique où la plupart des décisions étaient prises au sommet et où les établissements étaient de simples lieux d’exécution, à une structure en réseau, dont les nœuds seraient ces établissements. (…) Mais parce que la dérèglementation dans l’Éducation nationale reste très mesurée, parce que les routines administratives survivent largement aux textes sur lesquels elles s’appuyaient, la situation semble bien moins claire.(…) Les réseaux réels y sont multiples et informels : influences des organisation syndicales et des organisations de spécialistes, poids du « prêt à porter idéologique » véhiculé par les medias. (…) Tout cela contribue à créer un monde commun qui n’a été décidé nulle part, mais qui marque profondément les professeurs, les élèves et les établissements. Prendre conscience de ce monde commun constitue le fondement de toute progression. »

En 2003, François Dubet, dans la même revue (3), titrait « Concilier autonomie et unité ? ». Il observait que « nous sommes aujourd’hui confrontés à deux grands modèles de pilotage du système scolaire (le pilotage par les normes et le pilotage par les résultats ) et il est probable qu’il nous faut choisir si l’on souhaite sortir des ambigüités paralysantes, tout en combinant le principe d’autonomie des acteurs et celui de l’unité du système ». Il préconisait : « si l’on admet que l’autonomie et l’initiative ne sont pas seulement des valeurs, mais aussi des conditions nécessaires au travail éducatif, le pilotage doit se déplacer des procédures vers les objectifs afin de s’assurer que la diversité du système éducatif ne conduise pas à son explosion : il faut refuser d’identifier le centralisme à l’unité du système et miser simultanément sur l’autonomie des acteurs, sur leur travail conjoint et sur l’affirmation d’une capacité politique de conduire le système. »

En 2010, l’ESENESR (4) organisait une conférence sur « Le management de l'autonomie de l'EPLE » avec Jean-Paul Delahaye et Gérard Mamou, IGEN, et Annie Tobaty, alors proviseure : « la réflexion sur l'autonomie des établissements porte sur ses enjeux, sur les conditions nécessaires à sa mise en œuvre et sur les réalités de l'actualité. Quelles en sont les incidences sur le management et comment l'autonomie s'articule-t-elle ou doit-elle s'articuler avec nos institutions, nos structures, nos valeurs et comment peut-on en prévoir les évolutions futures, autant de questions posées et de réponses esquissées. »

En 2015, dans sa 13ème édition du Système éducatif français et son administration (5), l’AFAE (6), tout en rappelant les 8 éléments d’autonomie des EPLE définis par le décret du 30 août 1985, s’interrogeait sur son ambivalence : « cette autonomie ne cesse en effet de susciter des attentes autant que des interrogations. (…) la réalité concrète d’une telle autonomie reste plus formelle que réelle. » L’AFAE fonde ce jugement sur les comparaisons internationales : « l’enquête PISA 2009, lorsqu’elle a abordé cet item sur les 74 pays audités, a purement et simplement ignoré le cas français – unique exception à cette évaluation internationale – cf. OCDE 2011 ». Or, « L’évaluation de 2009 a notamment consacré un chapitre à l’analyse des ‘clés de réussite des établissements’. Le constat établi est alors le suivant : parmi les systèmes d’éducation les plus performants, nombreux sont ceux qui ont abandonné des environnements bureaucratiques de direction (…) et placent l’autonomie au cœur des performances éducatives. Les élèves réussissent là où les établissements qui les scolarisent peuvent agir efficacement sur l’allocation des moyens, sur la gestion de leurs ressources humaines, sur l’implication participative et responsabilisante des équipes enseignantes, sur l’évaluation partagée des personnels. » Pour être plus précis : « Les critères d’autonomie des ‘unités pédagogiques’ sont alors établis par PISA sur la base deux indices, (…) l’indice de responsabilité des établissements dans l’affectation des ressources. (…) et l’indice de responsabilisation des établissements dans le choix des programmes et des évaluations.»

L’AFAE observe plusieurs versants de l’autonomie : la notion de climat scolaire, la démocratie scolaire, la place des parents et celle des différents partenariats. Et de conclure : « L’alternative qui se présente est donc claire. La première option, celle qui correspond à une tradition historique de jacobinisme, consiste à poursuivre dans la voie d’un centralisme qui déconcentre à proportion qu’il décentralise : faisant ainsi des EPLE une instance d’articulation, de coordination terminale des procédures déconcentrées à travers une ‘autonomie’ de principe dépourvue d’effet. L’autre option possible consiste à rapprocher la France du modèle qui prévaut dans les autres pays de l’OCDE, à savoir celui qui consiste à attribuer une part d’initiative locale à la gestion éducative. Désormais inscrit dans un environnement complexe, au sein de réseaux et de partenariats multiples, les établissements scolaires doivent pouvoir accéder à un pilotage plus direct de leurs actions comme de leurs ressources. »

En mai 2016, l’association Éducation & Devenir plaçait tout en haut de sa charte actualisée le principe d’autonomie (7): « Aujourd’hui plus encore qu’hier, dans un contexte de plus en plus complexe, nous affirmons que c’est par une plus grande autonomie et responsabilité des acteurs que l’École peut répondre aux enjeux que lui assigne la société. Autonomie des établissements, autonomie des circonscriptions, des bassins d’éducation ne sont pas une mise en péril de l’Éducation nationale mais lui confèrent au contraire plus de pertinence, de créativité et d’efficacité.

(…).3 C’est par une autonomie effective, basée sur un fonctionnement démocratique, participatif et représentatif, que les collèges et les lycées peuvent mettre en œuvre et réussir les réformes actuelles, assurant à tous un socle de connaissances, de compétences et de culture, visant une plus grande justice scolaire et une légitime ambition, grâce à la diversification des approches et des pratiques. »

En 2017, dans leur présentation en ligne, les CRAP (8) ne semblent pas utiliser le concept d’autonomie, sauf pour revendiquer leur positionnement en regard du ministère, des partis et des syndicats. Dans leurs principes d’orientation, rédigés en 1984 mais affichés comme toujours actuels, ils utilisent d’autres mots : « l’autodétermination collective et individuelle, le droit à l’initiative individuelle et collective, le refus de l’autoritarisme à tous les niveaux, une appropriation active d’instruments d’analyse et de compréhension, l’autoformation, responsables de l’utilisation de ces moyens, écarter toute attitude étroitement comptable, associant à tous les niveaux tous les intéressés, la communauté scolaire doit redistribuer le pouvoir y compris au niveau des élèves, etc… ». Mais dès 1993 (9), il y a près de 25 ans,…Michèle Amiel alors présidente des CRAP, et qui coordonnait le dossier, interrogeait de manière lucide par le titre de sa présentation : « Utopie mythique ou construction patiente ? » et concluait : » Il est vrai que la démocratie n’est pas un état naturel ; c’est une construction qui demande la constante mobilisation de la volonté, une démarche humble et patiente, pas toujours gratifiante, qui exige beaucoup de temps.» Il s’agissait de démocratie à l’école, mais on a vu (cf. supra AFAE, E&D, CRAP,..) que celle-ci est une composante importante de l’autonomie.

Éviter les impasses

On compris par cette plongée un peu aléatoire, que depuis quelques décennies l’autonomie est avancée comme une sorte de bouclier pour se protéger de la centralisation excessive de l’administration française multiséculaire, mais aussi comme une nécessité pour améliorer « la performance éducative », entre pilotage par les normes (centralisé) et pilotage par les résultats (partagé par les acteurs). Comme dans le débat sur la laïcité, derrière l’apparente neutralité du concept d’autonomie qui semble consensuel, il y a différentes acceptions : une autonomie de principe s’oppose à une autonomie effective.

Dès lors, comment renouveler le débat sur l’autonomie sans s’enfermer dans les impasses habituelles comme les archaïques oppositions centre-périphérie, enseignants-encadrement, pédagogie-éducation, connaissances-compétences,…avec des arbitrages qui déplaceront le curseur selon les rapports de force, l’art managérial huilant les rouages ?

Dans la cadre du constat des interdépendances et des interfaces du système éducatif, comment résister au discours sur les « output » qui viendraient légitimer la meilleure forme organisationnelle et justifier l’adaptation à un marché de plus en plus concurrentiel et libéralisé, celui de l’éducation ?

Les valeurs de l’éducation au centre

Sans doute fonder inlassablement les choix de toutes natures (organisationnels, ressources humaines, curricula, projets pédagogiques, procédures, fonctionnement démocratique, climat scolaire, évaluations, etc..) sur l’objectif central de l’action éducative elle-même : l’acquisition progressive de l’autonomie par « le sujet apprenant » (10), pris dans son individualité et des collectifs (regroupements scolaires, famille, amis, clubs, etc ..). L’acquisition de l’autonomie comme indicateur de performance de l’autonomie…

Il convient sans doute de développer la recherche, une recherche croisée par des acteurs aux différents positionnements, intérêts, expériences,…des personnels d’encadrement, d’enseignement, d’éducation, d’orientation, de santé, sociaux, aux élèves, de l’institution universitaire et des instances ministérielles d’évaluation aux collectifs d’associations éducatives et aux syndicats et autres association de spécialistes, des familles aux partenaires économiques, sociaux et culturels,… sur l’articulation entre le développement de l’autonomie de l’élève/ étudiant / enfant / jeune, d’une part, et les modalités de l’autonomie organisationnelle du système éducatif d’autre part. En quoi cette dernière favorise-t-elle la première ? Si PISA a constaté et livré des macro-réponses dans le cadre d’une approche comparative internationale, il y a lieu de poursuivre ce travail collectif et croisé à différentes échelles et dans le temps de l’éducaiton,…le long terme. En quoi telles modalités d’autonomie, de distribution de ressources, d’élaboration de politiques d’établissement, de projets éducatifs, de projets territoriaux, de partenariats, etc… permettent-elle de développer de manière plus efficace l’autonomie des élèves ?

Lorsque je fus jeune Principal en Seine-Saint-Denis, André de Peretti (11) venant participer à une réunion dans le collège où je travaillais, nous proposa d’emblée l’une des principales clés : attribuer des responsabilités à chaque élève, y compris dans les apprentissages disciplinaires. Il imaginait en cours de Français un responsable…des accords du participe passé ! Il y a une trentaine d’années le mot Socle n’était pas encore gravé dans le marbre de la loi, ni les compétences disciplinaires, transversales et culturelles qu’il vise à développer, mais la quête émancipatrice d’autonomie des élèves / étudiants / enfants / jeunes a toujours guidé les acteurs de l’éducation qui ont l’éducabilité chevillée au corps.

Claude Baudoin

Lyon, le 1er novembre 2017

(1) Éditée par le CRDP (aujourd’hui Canopé) de l’académie de Créteil, N° 19, décembre 1997.

(2) Études, recherches et ressources sur l’administration et le fonctionnement des établissements d’enseignement, INRP (Institut national de la recherche pédagogique), devenu Ifé (Institut français d’éducation, rattaché à l’ENS Lyon).

(3) Éducation & Management, N° 25, août 2003.

(4) École supérieure de l’éducation nationale de l’Enseignement supérieur et de la recherche

(5) Mars 2015, 477 pages, édition bi-media. Voir ici les pages 291 à 308.

(6) Association française des acteurs de l’éducation

(7) http://www.educationetdevenir.net/

(8) http://www.cahiers-pedagogiques.com/Presentation-du-CRAP Cercles de recherche et d’action pédagogique

(9) N° 319 des Cahiers pédagogiques, décembre 1993, La démocratie à l’école.

(10) …si l’expression n’est passée de mode…

(11) dont nous regrettons tous la récente disparition…


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