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Michel LUSSAULT s'explique sur sa démission de la présidence du Conseil Supérieur des programmes


Démission de Michel LUSSAULT du Conseil Supérieur des programmes

Entretien dans Le Monde du 26 septembre 2017 – Aurélie COLAS – Luc CEDELLE

« Le ministre n’est pas prêt à confier au CSP des missions correspondant aux chantiers à venir », estime Michel Lussault, président de l’instance. Sur fond de désaccords avec le ministre de l’éducation nationale, Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP), annonce dans Le Monde sa démission. Celui qui incarne et défend cette instance depuis 2014 laisse derrière lui un bilan marqué par la réécriture du « socle commun », puis des programmes du primaire et du collège.

Les récentes déclarations du ministre, Jean-Michel Blanquer, sur les méthodes de lecture, la fin du prédicat ou encore l’approche chronologique en littérature, ont ignoré le rôle du CSP. Créé par la loi de refondation de l’école de 2013, celui-ci devait garantir un processus de conception des programmes transparent et indépendant.

Avant l’élection présidentielle, le CSP avait fait savoir qu’il était prêt à poursuivre son travail de refonte des programmes. « On a l’énergie, l’optimisme, l’ambition pour l’école. Nous pensons qu’on est utile », déclariez-vous alors. Pourquoi démissionner maintenant ?

J’ai le sentiment que le ministre n’est pas prêt à confier au CSP des missions correspondant aux chantiers à venir, comme ceux du lycée et du bac. A chacune de ses déclarations, Jean-Michel Blanquer prend grand soin de se présenter comme l’anti-Najat Vallaud-Belkacem, celui qui veut sortir l’école de la funeste politique de refondation décrite par ses détracteurs comme le parachèvement de la destruction de l’école par les « pédagogistes » et les « égalitaristes ».

Ses multiples annonces, tout comme sa présence à la « une » de médias comme Causeur ou Valeurs actuelles, sont autant de gestes profondément politiques montrant qu’il sort de sa ligne annoncée de modération, de prudence et de pragmatisme. A mon sens, il commet une erreur politique.

Quelles ont été vos relations avec Jean-Michel Blanquer et son cabinet depuis sa nomination ?

Nous avons eu avec le ministre une rencontre le 1er août, lors de laquelle j’ai pu constater ses réserves à l’égard du CSP. J’ai eu le sentiment qu’il ne connaissait pas vraiment ce que nous avions fait et n’avait pas la volonté de nous confier quoi que ce soit. Je lui ai dit que le CSP permettait notamment de sortir des débats partisans. Je n’ai pas réussi à le convaincre. Dans ces conditions, il devenait difficile pour moi d’envisager un maintien, ce que je n’ai pas caché au ministre.

Depuis, que ce soit avec lui ou son cabinet, avec la direction générale de l’enseignement scolaire, avec les inspections générales, je n’ai pas eu un seul contact. Laisser le CSP sans nouvelle me semble discourtois. Ce n’est pas une façon de traiter une institution qui, quoi qu’on en pense, a pleinement rempli son rôle. Je n’accepte pas ce mépris, qui est aussi une marque choquante de désinvolture par rapport à une instance créée par la loi. Cependant, je garde l’espoir que mon départ débloquera les choses et permettra qu’on fasse de nouveau appel au CSP.

Partir en raison de désaccords avec le ministre, n’est-ce pas reconnaître que l’indépendance du CSP était une illusion ?

Pour prouver cette indépendance, il aurait suffi de donner au CSP de nouvelles missions. Au lieu de cela, le ministre multiplie, sans discussion ni concertation, les annonces souvent unilatérales et idéologiques, à l’opposé du pragmatisme revendiqué.

Au lieu de temporiser en admettant que des programmes mis en œuvre en 2016 ont besoin de temps pour être évalués, il les remet en cause d’emblée. Il annonce qu’il faut enseigner les quatre opérations en CP et CE1, comme si leur apprentissage jusqu’au CE2 aujourd’hui était responsable de la baisse du niveau en mathématiques. Il estime qu’il faut mettre fin au prédicat, comme si ce concept grammatical menaçait l’école de la République. Il détricote la réforme des rythmes et dit en même temps qu’il faut plus de temps pour les fondamentaux. Mais comment faire quand on réduit les semaines à quatre jours de classe ?

Certains ont fait de vous l’incarnation de l’égalitarisme et du nivellement par le bas. Que leur répondez-vous ?

C’est une plaisanterie ! Personne ne m’a jamais entendu proclamer qu’il fallait transformer l’école en colonie de vacances ! Les programmes sont très exigeants ; ma crainte était même qu’ils le soient trop, en particulier sur les savoirs fondamentaux en cycle 2 [CP-CE1-CE2].

Le CSP a toujours eu deux credo : le premier, que tout être humain est capable d’apprendre, notamment quand il est mis en confiance. Le second, que l’une des conditions pour apprendre efficacement, c’est la continuité des apprentissages, à travers une logique de cycles de trois ans. C’est la raison pour laquelle je suis très critique par rapport au caractère de « couperet » que le ministre donne au CP. Il en fait une classe décisive, comme si tout était joué à 6 ans, alors que depuis 1947, cette classe est conçue comme un cours « préparatoire » pour la suite.

Ce que j’ai vécu à la tête du CSP m’a en permanence ramené à l’idée que la bataille culturelle qui se joue depuis les années 1960 autour de l’éducation n’était pas tranchée. Ou qu’elle risquait de l’être dans un sens négatif. C’est la bataille entre les tenants et les adversaires d’une démocratisation scolaire. Pour les premiers, cette démocratisation n’est en aucun cas l’ennemi de la qualité des enseignements, mais impose qu’on réfléchisse à de nouvelles façons d’apprendre et à ce qu’on apprend dans une société en mutation. Pour les autres, apprendre au plus grand nombre serait nécessairement faire baisser le niveau des meilleurs.

Ceux-là reviennent toujours à une conception des fondamentaux extrêmement problématique, en recul même par rapport à l’époque de Ferdinand Buisson et de Jules Ferry. C’est une régression politique et culturelle. Les fondamentaux, ce n’est pas simplement lire, écrire, compter et savoir se comporter. C’est aussi, aujourd’hui, donner des rudiments de méthode scientifique, comprendre le monde dans sa dimension multiculturelle, appréhender les questions environnementales… La démocratisation est un défi, pas un problème.

Êtes-vous hostile à la science comme boussole des décisions pédagogiques ?

Les sciences se conjuguent au pluriel. Or, visiblement, le ministre en a une conception restrictive. Je n’ai rien contre la neurophysiologie, sur laquelle il veut s’appuyer. Mais alors, que fait-il de la psychologie cognitive, de la didactique, de la sociologie, de l’histoire de l’éducation, de l’analyse des politiques publiques ? Il faut faire référence à toutes les sciences, pas seulement celles qui vous arrangent opportunément.

Que peut-il advenir du CSP après votre départ ?

Le CSP va connaître un renouvellement de ses six membres parlementaires, députés et sénateurs, sur un total de dix-huit. Le ministre aura à nommer un nouveau président. D’autres personnalités qualifiées seront peut-être à remplacer si certaines démissionnent.


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