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Jean-Paul DELAHAYE : les responsables de l'échec sont de retour...


L’ancien inspecteur général de l’éducation nationale Jean-Paul Delahaye dénonce, dans une tribune au « Monde », un projet qui reste fondé sur « l’objectif de tri et de sélection des meilleurs ».

[Jean-Paul Delahaye est diplômé d’un doctorat en sciences de l’éducation. Ancien directeur général de l’enseignement scolaire et chargé de mission au cabinet du ministre de l’Education nationale Jack Lang de 2001 à 2002, il est l’auteur du rapport de l’éducation nationale « Grande pauvreté et réussite scolaire, le choix de la solidarité pour la réussite de tous », publié en mai 2015, lien vers PDF].

TRIBUNE

Aujourd’hui, 44 % des jeunes d’une génération quittent le système éducatif avec un diplôme de l’enseignement supérieur, c’est plus que nos voisins européens, et plus du double de la génération qui part à la retraite aujourd’hui. Le nombre des sorties annuelles sans qualification qui restait bloqué à 140 000 vient de passer à moins de 100 000. C’est le fruit d’une mobilisation générale et de politiques conduites dans la continuité. Notre école ne va donc pas aussi mal qu’on le dit. Elle va même très bien pour une partie de la jeunesse. Les évaluations internationales nous montrent que nous avons une très bonne école, mais pour seulement la moitié de nos élèves issus majoritairement des classes moyennes et favorisées. Dans le même temps, 30 % des élèves, massivement issus des milieux populaires, sont en difficulté. Nous sommes le pays du grand écart.

La France de l’échec scolaire, terriblement inégalitaire, est dans son immense majorité issue des catégories défavorisées. Ce n’est pas le fruit d’un malheureux concours de circonstance. Cette situation est inhérente à un système qui n’a jamais été organisé pour faire réussir tous les élèves, mais qui est tout entier et historiquement concentré, y compris dans certains de ses choix budgétaires, sur l’objectif de tri et de sélection des meilleurs. Cette situation est insupportable, crée des dégâts humains, met le pacte républicain en danger, freine la croissance.

Sous couvert de pragmatisme

D’autres pays concernés par ces inégalités de réussite ont réagi très tôt, ont connu leur « PISA Choc » [Programme international pour le suivi des acquis], et ont vu leur situation s’améliorer de 2003 à 2012, l’Allemagne notamment. La France a longtemps tergiversé, préférant dénigrer le thermomètre, et a pris de 2002 à 2012 l’exact contre-pied de ce qu’il aurait fallu faire : en supprimant 80 000 postes y compris en éducation prioritaire, mais en créant les internats d’excellence, action compassionnelle pour les « méritants », ceux que Ferdinand Buisson [(1841-1932), auteur d’un Rapport sur l’instruction primaire en 1873, directeur de l’enseignement primaire du ministère de l’instruction publique de 1879 à 1896, prix Nobel de la paix en 1927] appelait « les exceptions consolantes » ; en tentant de sortir certains élèves du tronc commun de formation avec l’apprentissage junior à 14 ans ; en supprimant une matinée de classe en primaire ; en divisant par trois la scolarisation des enfants de moins de trois ans ; en supprimant la formation professionnelle des enseignants, mais en dotant les débutants d’un DVD de prise de fonction ; en dénonçant le « pédagogisme », alors que les enseignants français sont les enseignants de l’OCDE qui s’estiment à juste titre les moins formés en pédagogie, pour ne prendre que quelques exemples de politiques ayant aggravé notre situation.

Ce sont les équipes qui ont travaillé à cette régression qui sont aujourd’hui de retour rue de Grenelle. Sous couvert de pragmatisme, sont annoncées des premières mesures prises sans concertation véritable et encore moins d’évaluation de ce qui a été fait précédemment. Ce qui n’empêche pas de se déclarer fier de ne pas passer par la loi et de déclarer vouloir en finir avec les injonctions qui viennent du ministère, ce qui est assez incroyable à entendre compte tenu de ce qui est en train de se passer.

Dysfonctionnements

Car, d’une part, l’historien Claude Lelièvre a rappelé récemment que les ministres n’abusent pas des lois : sur trente-quatre ministres de l’éducation sous la Ve République, seulement sept ont donné leur nom à une loi. Et, d’autre part, et c’est peut-être ce qui gêne aujourd’hui, une loi suscite un débat public (trois mois de concertation en 2012 puis un débat parlementaire pour la loi de refondation de 2013). Ce qui n’est évidemment pas le cas des décisions prises actuellement, certes accompagnées d’une communication rassurante, mais qui sont un bel exemple de décisions autoritaires prises au sommet.

Rappelons que les politiques conduites avant 2012 ont pu l’être sans grande solidarité à l’égard des plus démunis. Dans une période de crise économique et sociale, la fraternité nécessaire pour la réussite scolaire de tous se heurte inévitablement à des intérêts particuliers qui n’ont pas forcément besoin et donc envie que l’école se transforme. Les dysfonctionnements de notre système éducatif ne nuisent pas à tout le monde.

Pourquoi sommes-nous le seul pays au monde à avoir infligé en 2008 aussi facilement et sans concertation une semaine de quatre jours aux enfants de notre école primaire et pourquoi est-ce si difficile, chez nous seulement, de remettre en place une scolarité sur cinq jours de classe pratiquée partout ailleurs dans le monde ? En réalité, une partie de la population qui peut compléter le travail de l’école grâce à son capital social et culturel, vit très bien avec la semaine de quatre jours. Mais qu’en est-il de tous les autres ?

Priorité au primaire

Comment expliquer que cette avancée démocratique que représente une deuxième langue vivante offerte à tous les enfants en 5e et plus seulement à quelques-uns en 6e soit autant combattue par certains ? Qui cela peut-il gêner ? Peut-être ceux qui utilisaient les langues vivantes pour séparer leurs enfants des enfants des autres dès la classe de 6e, mais qui ne peuvent évidemment avancer cet argument à visage découvert et qui préfèrent parler de nivellement par le bas.

Comment expliquer le fait qu’on ait pu diviser par deux les fonds sociaux des établissements destinés aux élèves des familles populaires de 2002 à 2012 et qu’on ait pu, sur la même période, augmenter de 50 % certains crédits destinés aux classes préparatoires aux grandes écoles ? Il n’y a pas eu alors de grève, pas de manifestation, pas de pétition pour protester. Alors que la moindre modification des programmes de la série S des lycées affole tous les journaux télévisés de 20 heures. Qui sont vraiment les assistés et que penser de cette solidarité à l’envers où les économies faites sur les plus démunis servent à préserver les positions acquises par les « élites » ? Peut-on dans ce cas parler d’intérêt général ?

La refondation enclenchée en 2012 n’a certes pas tout réussi et beaucoup de choses restaient à améliorer et à faire. Mais elle partait du principe que c’est l’ensemble du système éducatif français qui doit être réorganisé dans l’intérêt général pour lutter contre les inégalités.

D’où la priorité au primaire avec en particulier l’évolution des pratiques pédagogiques avec le dispositif « plus de maîtres que de classes, la reconstruction de la formation des personnels, la prévention du décrochage scolaire, les nouveaux rythmes scolaires, la refondation de l’éducation prioritaire avec un véritable renforcement des moyens, l’effort pour davantage de mixité sociale et scolaire, la rénovation du collège avec des classes bilangues pour tous en 5e, des enseignements interdisciplinaires, de l’accompagnement personnalisé…

Position dominante

Cette approche cohérente qui privilégie le commun et la réussite de tous pendant la scolarité obligatoire nécessite de la continuité dans l’action et du courage politique. L’approche qui semble de retour au ministère de l’éducation nationale, considère que les populations scolaires en difficulté relèvent de politiques qui leur sont spécifiques, comme la division par deux des effectifs des classes en REP + ou le dispositif « devoirs faits ».

Compte tenu de l’ampleur des inégalités, Il faut certes des politiques spécifiques, mais dans un cadre qui doit rester commun. Si cela conduit à trouver argument pour laisser le système de tri et de sélection en l’état, à ne pas le transformer pour réduire les échecs et les inégalités, et à prélever des moyens destinés à tous pour donner encore plus à ceux qui ont déjà beaucoup, alors ce n’est pas une politique d’intérêt général.

Une des difficultés rencontrées pour réformer l’école vient du fait que les intérêts particuliers portés à la conservation d’un système qui fait si bien réussir leurs enfants, se retrouvent sur les deux côtés de l’échiquier politique et s’expriment beaucoup dans les médias, savent se faire entendre, défendent les positions acquises y compris s’agissant des choix budgétaires, et ont un pouvoir de retardement des réformes, voire de blocage.

Le plus désolant sans doute c’est que les mesures annoncées répondent aux demandes de certaines élites sociopolitiques, quel que soit par ailleurs leur positionnement politique, à droite, au centre ou à gauche. Celles-ci veulent conserver leur position dominante dans le système éducatif. Elles visent plus à restaurer pour les leurs qu’à refonder pour tous.


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