Réforme du collège détricotée ?
La réforme du « collège 2016 » n’aura pas fait long feu. A peine une année scolaire après sa mise en œuvre, voilà un projet d’arrêté qui pourrait permettre aux établissements de la détricoter. Le texte, que Le Monde s’est procuré, sera présenté aux organisations syndicales mardi 6 juin, en vue d’une application dès la rentrée prochaine.
C’était une promesse de campagne : le candidat Emmanuel Macron s’était engagé à « rendre possible le rétablissement des parcours bilangues et européens », remis en cause par la réforme de Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l’éducation nationale, et à revenir à un « véritable enseignement du latin et du grec », dont le statut avait évolué.
Au lendemain de sa nomination Rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer avait déclaré au Monde qu’il avait été « choqué de la suppression » de ces dispositifs qui « marchaient bien ». Pour le nouveau ministre, ils sont des moyens de rendre « attractifs » certains établissements, plus que des outils de ségrégation.
Rétablissement des classes bilangues
Le projet d’arrêté élargit l’éventail des options facultatives que les collèges peuvent proposer aux élèves dans le cadre de leur marge d’autonomie.
Dans le champ des possibles, on retrouve la promesse d’une option latin renforcée : les collèges pourraient l’organiser à raison de trois heures par semaine maximum en 4e et 3e – contre deux heures aujourd’hui.
On retrouve également le rétablissement des classes bilangues : apprendre une deuxième langue étrangère dès la 6e serait possible « dans la limite de deux heures hebdomadaires ». Enfin, si le texte n’évoque par le retour des classes européennes à proprement parler, il autorise l’instauration d’une langue vivante renforcée à partir de la 5e (deux heures en plus).
Mais le projet d’arrêté va plus loin que les promesses de campagne. Il supprime le cadre national fixé pour les deux nouveaux dispositifs introduits par la réforme : l’accompagnement personnalisé (AP) et les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) – des projets croisant plusieurs disciplines. Les enseignants seraient libres de continuer à proposer les deux. Libres, aussi, de ne proposer que l’un ou que l’autre – sur une plage horaire qui reste inchangée : trois heures par semaine en 6e, quatre heures en 5e, 4e et 3e.
De même, il n’y aurait plus de thématiques imposées pour les EPI. Actuellement, huit thèmes sont définis, allant des « langues et cultures de l’Antiquité » au « monde économique et professionnel » en passant par la « transition écologique ». A l’avenir, il pourrait n’y avoir « plus aucune contrainte de nombres ni de thèmes : on reviendrait aux projets interdisciplinaires en fonction des appétences des professeurs. Certains en feraient, d’autres pas. Certains élèves en auraient, d’autres pas. Le signal envoyé, c’est que l’interdisciplinarité est superflue », déplore Claire Krepper, du SE-UNSA.
« Une pratique de “stop-and-go” »
Dans le camp des pro-réforme, des inquiétudes se font sentir. « En rétablissant les options, en supprimant le cadre de l’AP et des EPI, on retrouve une pratique de “stop-and-go” que connaît l’école à chaque alternance politique, déplore Alexis Torchet, du SGEN-CFDT. Or, on ne cesse de le répéter : le temps éducatif est un temps long ! »
« Ce projet induit un détricotage politiquement habile de la réforme, renchérit Mme Krepper. On laisse au terrain la responsabilité de déconstruire la réforme, avant même de lui laisser le temps de la digérer. Pour un ministre qui prétend vouloir piloter par les résultats, cela n’est pas très cohérent. Voilà des choix qui semblent relever plus de l’idéologie que du pragmatisme. »
Pas sûr, non plus, que le SNES-FSU, syndicat majoritaire, qui avait été fer de lance de la contestation contre la réforme, ne donne un blanc-seing à ces inflexions.
Beaucoup d’enseignants déploraient que les projets interdisciplinaires leur soient imposés d’en haut. « Sur ce point, nous avons le sentiment d’avoir été entendus. Les équipes vont pouvoir à nouveau être à l’initiative en matière de thèmes et de cadre horaire des EPI, souligne Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du SNES-FSU. Mais le prix à payer, c’est l’autonomie, c’est-à-dire davantage de décisions à arbitrer dans chaque collège. Le risque est grand de mettre les collèges en concurrence et, au final, d’avoir un enseignement à plusieurs vitesses. »
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