Philippe Meirieu se fâche
La critique de la pédagogie, de son laxisme délétère et de ses dispositifs technocratiques, de son humanisme niais et de son jargon scientiste, de son agitation marginale et de sa toute-puissance institutionnelle, est particulièrement à la mode par les temps qui courent. À vrai dire, tout cela n’est pas très nouveau. Déjà, dans les années 1890, Brunetière, intellectuel organique et médiatique, antidreyfusard acharné au nom de « l’honneur de la France », fustigeait Marion, à qui Jules Ferry avait confié le premier cours de « science de l’éducation » pour les enseignants : « Ayons des professeurs qui ne songent qu’à professer. Moquons-nous de la pédagogie. Et débarrassons-nous de ceux qui, au nom de la pédagogie, empêchent nos professeurs de professer ! ». Mais on peut remonter encore plus loin. Les intellectuels français n’ont jamais aimé les pédagogues : ils vénèrent Voltaire et son alacrité, méprisent Rousseau, compliqué et besogneux. Ils admirent le savoir mais se gaussent de ces inventions ridicules que quelques illuminés imaginent pour en favoriser l’accès aux « inéducables ». Itard et ses puzzles, qui bricole dans son coin avec son « idiot congénital », ne fait pas le poids face à l’intelligentsia littéraire et philosophique de l’époque. Il a beau être le créateur d’un matériel pédagogique promu par Maria Montessori et encore largement utilisé de nos jours, celui-là même qui a ouvert la voie à l’éducation des enfants handicapés, il n’en reste pas moins une sorte d’image pieuse vieillie qui inspire au mieux la sympathie, au pire la compassion, pour son « dévouement ».
Tout et son contraire…
Aujourd’hui, les choses se font plus dures. Chez les « intellectuels » comme dans les médias, à droite comme à gauche, on dénonce les « assassins »… de l’école, des savoirs, de la culture, et même de la France ! Le procédé n’est pas spécifique au champ éducatif : il participe du populisme ambiant qui, sur des questions comme l’immigration ou le chômage, préfère désigner des coupables à la vindicte publique plutôt que d’analyser les responsabilités dans leur complexité. La théorie du complot fait aujourd’hui florès et beaucoup de ceux qui la dénoncent chez les autres n’hésitent pas à l’utiliser pour s’exonérer d’une analyse sérieuse comme de la recherche inventive de solutions.
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