

La rentrée de Mai
Le 18 mai prochain, rouvriront certains collèges : attente inquiète autant que joie de retrouver une certaine normalité, un rythme, un entourage familiers. Ce 18 mai pourtant n’aura rien de la rentrée joyeuse faisant suite à la longue pause sans souci des mois d’été. Rentrée sous haute surveillance. Rentrée à très faible effectif autant pour permettre l’organisation d’un fonctionnement qui respecte les drastiques mesures sanitaires que par le choix de nombreuses familles de garder encore leur enfant au domicile. Rentrée dans un univers nouveau de mise à distance, d’interdiction de se toucher, d’échanger des objets, de se chuchoter des secrets, oreilles contre oreilles, d’arpenter la cour bras dessus, bras dessous, finalement, interdiction de tout ce qui fait le lien amical des collégiens au collège. Et il faut pouvoir imaginer les salles de classe aux tables dispersées, le professeur dans l’impossibilité de se pencher sur l’épaule des élèves pour encourager, aider à la réalisation du travail, les repas pris en solitaire, à un mètre du premier camarade, qui risque fort, de plus, de n’être pas le meilleur ami, les temps de lavage des mains, en file indienne, selon une organisation qui relève plus de l’idée qu’on se fait d’un pensionnat du 19 siècle que de l’agitation libre de la vie actuelle de nos établissements, les temps de récréation qui n’en seront pas, sans ping pong, sans ballons, sans bruyants attroupements.
Ces nouvelles conditions, dont les maitres mots pourraient bien être ceux de contrainte et de frustration, ouvrent une période qui s’avérera assurément aussi déstabilisante et anxiogène que celle qui vient de s’écouler.
La reprise ne pourra alors se contenter de contenus scolaires, aussi louables que soit le désir des professeurs de combler les lacunes, de vouloir rattraper le temps qui a manqué, aussi légitime que soit l’inquiétude des parents de voir les programmes inachevés. Il va falloir accepter de prendre le temps, le temps d’écouter, de parler, d’informer, de répondre aux inquiétudes, de corriger les fausses informations, prendre le temps d’accompagner la réflexion, le temps de consoler, d’aider à surmonter la frustration. Ce temps ne se décrètera pas, ne s’inscrira pas dans les nouveaux emplois du temps de l’après confinement, c’est un temps qu’il va falloir que tout adulte sache saisir au vol, au moment où se présenteront l’angoisse, la colère, le refus, la tristesse, que tout adulte accepte de donner en toute honnêteté et toute humanité pour que nos élèves, et tout particulièrement ceux dont l’univers familial est le plus fragile, puissent trouver au sein de nos établissements, à défaut de leur vie d’avant, les conditions pour reprendre leur élan vers les savoirs et vers l’émancipation qu’apportent l’éducation.
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Isabelle Speisser- Principale et membre du CA d'E&D