

Plus que jamais en revenir aux élèves, le cœur du métier
Lorsque la crise joue un rôle de révelateur
Zone rouge, orange, verte, à vos marques, prêts, reprise ! Les interactions sociales reprennent peu à peu et avec elles une reprise progressive dans les établissements scolaires. Une reprise attendue, pleine d’incertitudes qui se doit d’être pleinement pédagogique et éducative.
La crise que nous traversons de par sa manifestation exceptionnelle interpelle, et questionne à titre individuel et personnel. Par effet de ricochets, irrémédiablement, la question du sens de l’École, de la pédagogie, de la relation aux élèves se pose pour les acteurs de la communauté éducative. Les écoles étaient fermées mais le monde de l’éducation était loin d’être à l’arrêt ! Cette expérience hors du commun ébranle, déboussole, fait perdre ses repères. Il convenait, il convient et il conviendra de ne pas perdre de vue l’essentiel : les élèves. La structure normative de l’École s’en est trouvée délocalisée, l’espace classe, la structure établissement tout bonnement explosés. Chacun à tous les niveaux de l’institution placé dans l’attente et l’inconnu. Dans un premier temps, ignorer la date de fin du confinement a fragilisé ; la structure scolaire désormais virtuelle s’en est trouvée transformée : fallait-il s’inscrire dans la durée ? pendant combien de temps ? Programmer, planifier dans le temps était rendu impossible. Et pourtant chacun – la majorité – s’est inscrit dans une dynamique nouvelle en ajustant, adaptant, créant. La fameuse incertitude a continué au moment où le glas de la fin du confinement a sonné marquant l’ère du d’un déconfinement progressif : le premier degré ouvre le bal, suivi des collèges en zone verte puis désormais des collèges restants, et des lycées professionnels. Les scenarii sont multiples et indéniablement locaux. La grande force du terrain est à l’œuvre, le pouvoir d’agir des acteurs locaux se déploie en étant résolument force de propositions en s’adaptant pour résoudre l’équation : obligation de scolarité, protocole sanitaire conséquent, libre choix des familles de renvoyer leurs enfants à l’école, recensement des personnels vulnérables ou vivant avec une personne vulnérable, contraintes des locaux et conditions d’accès aux établissements, degré d’accompagnement ou d’injonctions des niveaux hiérarchiques académiques. Voilà le terrain à la barre ! Les acteurs font preuve d’inventivité pour faire face à cette situation « hybride » si singulière en prenant les choses à bras le corps pour ne laisser aucun élève sur le « bord du chemin ». Mais à quel prix ? Pour certains il est malheureusement déjà trop tard et nous ne les reverrons certainement qu’en septembre, ou il faudra rivaliser d’ingéniosité pour aller les chercher et combler les manques. Pour les autres le plaisir de se retrouver masqués et à petite dose.
Comme on peut régulièrement l’observer dans les situations d’exercice difficiles, sans cesse le terrain essaie, se trompe, essaie de nouveau, se pose en rempart contre les inégalités. La longue phase de déconfinement fragilise parfois et épuise souvent, et même quelquefois génère une forme de concurrence entre établissements dans la course à « l’élève modèle ».
Pour tenir : revenons-en aux élèves (aux vrais !). Gardons en tête ces petites victoires du quotidien qui ravivent souvent la flamme. Pensons à cet élève qui revient et vous remercie plein de reconnaissance car il a été marqué par quelques mots d’encouragement, un projet ou par l’attention que vous avez su lui porter. C’est ce lien privilégié, individuel et personnalisé qui a fait ses preuves en cette période de crise. Et pourtant, par exemple, combien de professeurs de lycée professionnel ont parfois été taxés de démagogie parce qu’ils entretenaient une relation privilégiée avec leurs élèves et leurs familles. C’est pourtant bien souvent le gage d’élèves et de familles présents aux grands rendez-vous (période de formation en milieu professionnel, examens pour les élèves / réunion parents-professeurs, pour les familles). N’est-ce pas là une première étape de la société du care dont on entend de plus en plus parler aujourd’hui à l’épreuve de la crise. Cette attention si particulière qui fait basculer le métier d’enseignant de la transmission de connaissances à un échange au-delà, une relation interpersonnelle et éducative. Un métier de l’humain où chacun se reconnait. Pour reprendre une phrase parfois entendue en salle des professeurs ou en conseils de classe « on n’est pas là pour s’aimer » : certes ! En revanche, se reconnaitre en tant qu’individu : assurément ! Ce petit plus humain qui fait toute la différence n’empêchant pas l’exigence. En somme osons un terme sans doute parfois trop connoté et dévoyé : « la bienveillance ». La reprise progressive permet de renouer avec les élèves, de permettre faire société.
En revenir à l’essentiel des métiers à l’œuvre dans un établissement scolaire parait fondamental pour pleinement être dans une dimension à la fois collective et individuelle. S’attacher aux difficultés des élèves n’est pas une perte de temps, ni même « faire dans le social » (sentence qui là encore peut se faire entendre). Il s’agit tout simplement, au-delà des disciplines scolaires, d’accompagner et de faire grandir.
Une fois ce temps de reprise passé voilà les 2SC2C, l’École ouverte et les vacances apprenantes poindre leur nez. Une réponse à l’urgence du moment ou une façon d’instiller des dispositifs nouveaux qui modifieront cruellement le paysage éducatif ? Et voilà de nouveau les acteurs lancés dans une course effrénée slalomant entre valeurs, intérêt des élèves et injonctions verticales.
Dimitri LENTULUS - Membre du CA d’E&D